
Une étude pratique intéressante
Fabien Deshayes, pour Sociologies, le journal de l’association internationale des sociologues francophones, a consacré un très intéressant article à la consultation du dossier en assistance éducative, sous le titre » lire son dossier au tribunal des enfants : entre accusation, traduction et trouble dans la place « .
Certes l’article date de 2013 mais reste tout à fait actuel.
L’interaction entre la famille consultante et la personne chargée d’assurer l’accès au dossier (déléguée au greffe central), est examinée, étant posée que l’employée du tribunal agirait en tant que propriétaire d’un dossier dont elle consentirait à laisser un simple accès aux parents par sa surveillance.
L’auteur de l’article a pu observer en région parisienne pas moins de 105 accès de parents à des dossiers bien souvent épais et dont il détaille les contenus. S’y trouvent des échanges de courriers des parents avec les sociaux, une note du juge des enfants, des comptes-rendus de visites à domicile avec des observations sur les comportements, attitudes, faits constatés, des rapports suites à des entretiens avec des psychologues, etc…
Il y a rencontré une assistante sociale retraitée assurant la surveillance en consultation de dossier un jour par semaine. Car, si l’accès à ce dossier est un droit qui participe à la portion congrue du contradictoire, les créneaux ouverts sont étroits et se limitent le plus souvent à une demi-heure, voire 40 minutes un jour dans la semaine. Rappelons que nous réclamons au CEDIF la communicabilité intégrale des rapports socio-éducatifs aux familles.
Les consultants ont donc préalablement pris rendez-vous au greffe et indiqué leur qualité : père, mère, les deux parents, les accompagnateurs sont le plus souvent refusés même s’ils peuvent être capables de mieux comprendre et de synthétiser un dossier qui arrive encore souvent incomplet jusqu’à la veille de l’audience.
Il est constaté que l’assistance sociale oriente souvent la lecture sur certaines pièces puisqu’il n’est pas possible de tout lire en si peu de temps. Son attitude varie d’ailleurs en fonction des parents dont certains peuvent être présentés comme « opposants », voire « psychotiques », « pathologiques », vis-à-vis de ceux-ci elle se montrera peu ouverte.
L’auteur relève alors des attitudes qui vont de la lecture silencieuse à la révolte face à la découverte du contenu du dossier. Puis il décrit des scènes de consultation.
Le choc de la consultation
La première consultation concerne un couple d’une cinquantaine d’années, la sociale leur remet la pièce qu’elle juge la plus importante à savoir le rapport des travailleurs sociaux, elle les aiguille donc vers l’essentiel, puis elle leur communique le reste du dossier dont le plus important est la synthèse conclusive de chaque document.
Les parents sont stressés, cherchent déjà à justifier leur situation exposant une vulnérabilité. Ils apprennent qu’il leur est reproché un défaut de soin sur leur fille de 16 ans déscolarisée. La sociale impose une présence pesante lors de la lecture de cette pièce fondamentale, elle se tient à un mètre d’eux le regard posé sur le document. Les parents sont gênés et ont du mal à communiquer entre eux.
Ils demandent un conseil juridique à la sociale qui leur précise qu’il est trop tard pour prendre un avocat. Non, il n’est jamais trop tard.
Ils cherchent à nouveau à se justifier quêtant l’empathie de la sociale qui les renvoie à la nécessaire acceptation d’une mesure éducative forcément bénéfique. Les parents repartent rassurés par l’échange avec la sociale et en pensant que finalement peu de choses leur sont vraiment reprochées. En réalité ils n’ont pu que survoler l’ensemble du dossier alors que plusieurs heures auraient été nécessaires pour une lecture complète et une compréhension acceptable. La présence de la sociale a gêné la communication entre les parents consultants et la volonté de rassurer les désarme pour la suite.
La deuxième consultation introduit un jeune couple qui s’est disputé à la maternité à l’occasion de la naissance de leur enfant. L’hôpital avait alors saisi les sociaux d’une information préoccupante devenue signalement. La mère découvre le rapport de la sociale et réagit avec vivacité en précisant qu’elle « déteste les assistantes sociales », les traitant de noms d’oiseaux. La sociale, déléguée du greffe, ne peut s’empêcher de réagir en précisant qu’il ne faudra pas parler comme cela en audience. L’hostilité réciproque apparaît alors que le père lui demande si elle est assistante sociale. La consultation n’est pas constructive mais traumatique, les parents en restent à l’impression, au choc des mises en cause, ils n’ont pas la ressource d’utiliser le dossier pour leur défense.
La troisième consultation apparaît plus tendue encore, la sociale à cette fois affaire à une mère à qui « on la fait pas ». Cette mère n’est pas novice dans la procédure d’assistance éducative puisque son fils en placé depuis longtemps en foyer, elle ne s’en remet pas à la sociale, ne se confie pas imprudemment, sait lire un dossier en allant directement à l’essentiel tout en synthétisant avec une prise de notes. Comme le précise l’auteur de l’article « la déléguée ne l’apprécie guère et a décidé de faire la sourde, en détournant ostensiblement le regard pendant toute la consultation, répondant aux questions d’un bref « Je ne sais pas » ». Attitude peu professionnelle mais plus favorable au consultant que la garde-chiourme plantée à un mètre du rapport quand les parents le lisent (voir première consultation). La consultante relève à haute voix ce qu’elle considère comme des faux, des erreurs factuelles, des atteintes à son autorité parentale qu’elle pourra mettre en cause. La sociale ronge son frein.
Attitudes à corriger
L’auteur de l’article constate, avec ces consultations représentatives, que les consultants sont le plus souvent effarés.
Rien n’est épargné, toute parole est reprise, disséquée, interprétée. Nous ne cessons de préciser qu’il ne faut pas se confier et pourtant, en état de choc, les parents ne peuvent s’empêcher de rechercher l’empathie, ils pourront alors se sentir trahis à la lecture du rapport social. Bien souvent cette «trahison » ne vient pas de la référente mais de la PMI, de la maternité, de l’école avec lesquels la confiance avait été plus facilement établie. Les parents de la deuxième consultation constatent que leur dispute, leurs mots trop facilement lâchés sont reproduits et interprétés. D’ailleurs toute critique émise est reprise et participe à l’exacerbation des conflits entre des parents qui ont pu se confier sur leurs difficultés relationnelles.
Il apparaît aussi que la présence de la déléguée du greffe incite les consultants à se justifier, à réagir à haute voix à une expression relevée, à théâtraliser, à demander des conseils, à être gêné par sa présence ou à se croire en audience en commençant sa plaidoirie. Tout cela est une perte de temps et une vulnérabilité exposée, les parents ont intérêt à se débarrasser de tout affect avant la consultation. Tout terme incompris relevant du jargon de sociaux doit être noté dans le contexte du passage et relu, interprété chez soi plutôt que donner lieu à une perte de temps auprès de la déléguée.
Enfin, face aux trop fréquentes pertes de temps en consultation et face à la possibilité d’insertion de nouveaux documents dans le dossier avant l’audience, il faudra réclamer un nouveau rendez-vous au greffe pour terminer la consultation.
On ne pourra vous le refuser.