Une décision de justice remarquable

TGIUn jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 6 novembre 2013 (numéro de RG 12/09262) a attiré toute notre attention. Cette décision est importante car elle conduit à la condamnation de l’État suite à la demande d’un parent qui ne voyait plus régulièrement ses deux filles.

Le contexte de cette affaire est celui d’un divorce mouvementé avec accusations croisées des deux parents amenant à la mise en place d’une assistance éducative par un juge des enfants.

De son côté, le JAF attribue la résidence à la mère et un droit de visite médiatisé en espace rencontre auprès de l’association Tempo deux jours par mois pour le père pour une période de 6 mois.  À l’échéance fixée les droits de visite ne s’exercent plus et le père doit donc à chaque fois ressaisir le JAF.

Visiblement le principe même de ces visites est l’objet d’affrontements, le juge des enfants les annule une première fois, décision infirmée par la cour d’appel qui rappelle que les droits de visite et d’hébergement sont de la seule compétence des juges aux affaires familiales. Les visites se remettent en place avec retard. Plus tard l’association annule des visites programmées, l’éducatrice étant en congé parental. Le père en saisit le juge des enfants lequel prononce un renouvellement des mesures.

Peu satisfait, le père assigne devant le Tribunal de Grande Instance de Paris l’agent judiciaire de l’État.

L’assignation est faite par acte d’huissier avec demande de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 141.1 du code de l’organisation judiciaire :
L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

En l’espèce, le père demande :
« réparation du préjudice subi en raison d’une succession de dysfonctionnements du service public de la justice, caractérisés par l’incapacité des magistrats à assurer l’application effective de leurs décisions, ayant contribué à la détérioration de ses relations avec ses filles et l’ayant privé de toute chance de tisser des liens réguliers et solides avec elles. »

 Dans le détail il met en évidence quatre griefs particuliers sur lesquels le tribunal de grande instance va se prononcer.

 Le juge aux affaires familiales a-t-il manqué de diligence pour ne pas avoir pas fixé une date de renvoi permettant le renouvellement de ses droits de visite ?

 Le père dit oui, mais le TGI ne le suit pas puisqu’en matière civile le procès appartient aux parties, c’était donc bien au père de ressaisir le JAF à l’échéance de la mesure.

 Le juge aux affaires familiales a-t-il commis une faute lourde pour n’avoir permis que tardivement l’exécution de ses droits de visite, droits de visite qui n’ont d’ailleurs pas tous été honorés ?

 Sur ce point la réponse du père comme pour toutes les autres question est oui.

Le TGI considère qu’il n’appartenait pas au JAF de désigner une autre association puisque le père dans ses courriers semblait avoir compris l’intérêt d’une solution de continuité pour la reconstruction de la relation (comme quoi il faut bien faire attention à l’interprétation possible de nos écrits). De plus à l’époque le juge aux affaires familiales ne pouvait imposer la fixation des droits de visites à un point rencontre, autrement dit si le père n’a pas eu gain de cause sur ce grief, toute nouvelle demande suite à un jugement de JAF postérieur à 2013 permettrait aux parents d’avoir gain de cause face à un juge qui ne vérifierait pas la stricte application des droits de visite qu’il a imposé à un point de rencontre. Il conviendra donc d’indiquer les jours et heures de droit de visite et non de les laisser à l’appréciation d’un point de rencontre.

Le juge des enfants peut-il ne pas immédiatement remettre en place des droits de visite rétablis par un arrêt de cour d’appel ?

Sur ce point, le père rappelait que ce retard le privait du droit à l’exécution effective d’une décision de justice, droit protégé par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Le TGI abonde dans le sens du père en rappelant l’article 1074-1 du code de procédure civile qui précise : « Les mesures portant sur l’exercice de l’autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant et la contribution aux charges du mariage, ainsi que toutes les mesures prises en application de l’article 255 du code civil, sont exécutoires de droit à titre provisoire ».

En conséquence le juge des enfants est bien fautif quand il ne rétablit pas immédiatement les droits de visite.

 L’association Tempo est-elle fautive d’avoir tardé à mettre en place les droits de visite décidés par le juge aux affaires familiales, mais aussi pour avoir réduit la durée de ces droits de visite ?

 Oui bien entendu elle l’est et pour les mêmes motifs qu’au-dessus. Le TGI de Paris relève d’ailleurs qu’on ne peut considérer comme raisonnables des délais de 6 mois entre une décision de justice donnant des droits de visite et leur application effective. Les autres décisions de justice ayant donné lieu à de nouveaux délais de 3 mois, puis de 8 mois, soit presque un an et demi cumulés de non-visites.

L’excuse d’un congé parental de l’éducatrice n’étant évidemment pas acceptable pour supprimer des droits de visite.

Les délais imposés par le service éducatif 91 pour l’exécution de décisions du juge des enfants ne sont pas plus acceptables.

Sur ces points les juges ayant rendu leurs décisions sont aussi visés, il leur appartenant de remettre au pas les services sociaux chargés de l’application des mesures. Le TGI rappelle ici l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif au respect de la vie familiale implique le droit d’un parent à prendre des mesures propres à le réunir à son enfant et impose donc aux pouvoirs publics l’obligation d’assurer ce droit ainsi que le rappelle la jurisprudence de la CEDH dans son arrêt Maumousseau et Washington contre la France en son paragraphe 83 

Le TGI dit que le juge des enfants et le juge aux affaires familiales sont fautifs pour avoir commis un déni de justice.

L’État est donc condamné à verser 9 500 euros au plaignant.-

Commentaire et analyse par le CEDIF