Mémoires d’enfants placés (1)

Il n’est pas facile de s’exprimer sur un vécu que l’on voudrait oublié, enterré à jamais.

Les médias ont quelquefois laissé la parole aux « enfants de la DDASS » devenus grands, mais cette parole n’était recueillie et diffusée qu’à condition de ne pas être à charge de l’institution.

Deux femmes, devenues mamans, Nadia et Karine, ont accepté de s’exprimer. Leur témoignage est authentique et nuancé, il exprime une vérité que vous ne lirez pas ailleurs parce que cette vérité ne fait honneur ni à la DDASS ni à l’ASE qui a pris sa place.

Dans ce premier article nous donnons la parole à Karine.

Bonjour Madame Dano, vous avez accepté de témoigner de vos années de placement pour le CEDIF. Nous aimerions comprendre d’abord sur quel prétexte vous avez été placée. 

karine dano
Karine alors qu’elle était en famille d’accueil

Karine : Mon histoire a commencé par un viol que m’a fait subir un chauffeur de bus. J’ai été traumatisée par cette expérience sans réussir à en parler à ma famille. Alors je fuguais et c’est ainsi que les services de la protection de l’enfance de Coulommiers sont intervenus et ont procédé à un signalement. Un juge des enfants de Meaux s’est prononcé sur mon destin et a décidé de me placer dans un foyer du Val d’Oise.

Mais à aucun moment vous n’avez pu expliquer votre mal-être par ce viol subi ?

J’ai finalement pu en parler aux travailleurs sociaux, mais j’étais déjà placée et je ne comprenais pas pourquoi ils avaient décidé de me placer, je n’avais pas l’impression d’être un cas ou une délinquante. La seule chose que l’on me répondait quand je voulais retourner chez mes parents c’est que je devais faire ce que le juge avait décidé !

Si les travailleurs sociaux avaient pu faire savoir que j’avais été violée tout aurait pu être autrement. J’en ai parlé à ma mère à l’âge adulte et je lui ai demandé si la DDASS l’avait avertie, mais non ils ne lui ont jamais rien dit. C’était aux services sociaux d’en parler et d’en référer au procureur, ils n’ont pas dénoncé ce crime ! 

Pouvez-vous nous parler de votre vécu en foyer ?

J’étais livrée à moi-même et à aux autres. Lors d’une sortie, un jeune du foyer m’a poussée du quai alors qu’un train en marche arrivait. J’ai été gravement blessée  et hospitalisée au Val d’Argent à Argenteuil. On ne me recherchait même pas, personne du foyer ou des services sociaux n’est venu et même pas la police.

Je ne pense pas qu’il y ait eu d’enquête sur ce que l’on m’a fait.

Au bout d’une quinzaine de jours quand mon visage avait retrouvé figure humaine, j’ai fugué de l’hôpital pour rentrer au foyer. Là on ne m’a pas posé de questions sur ce qu’avais fait et où j’étais.

Ce désintérêt pour les enfants placés comment l’expliquez-vous ? 

Pour eux on était des enfants à problèmes, des places à gérer. D’ailleurs quand il n’y avait plus assez de chambres on se retrouvait mis dans des hôtels éparpillés dans tout le département.      

Vous avez vécu aussi en famille d’accueil ?

Oui, on m’a transférée du Val d’Oise vers la Seine Maritime, mais le foyer ne m’avait jamais rendu toutes mes affaires, quelques unes avaient été récupérées et mises dans des sacs poubelles.

C’est donc avec ces sacs poubelles à la main que je suis arrivée à la gare de Serqueux, toute honteuse de me présenter ainsi. Là une dame âgée m’accueille et me demande de l’appeler Mamy. Je ne voulais pas car des mamys je n’en ai que deux et elles sont au paradis.

Au début, je me suis repliée, je n’avais pas envie d’être là car je voulais rentrer chez moi avec mes parents. La famille d’accueil essayait d’être gentille et j’ai compris que je n’avais pas le choix, que je devais vivre avec eux.

J’ y suis donc restée jusqu’à ma majorité et j’ai tenté de me reconstruire en décidant de moi-même d’aller à la rencontre d’un psychologue pour évacuer ce viol et reprendre ma vie là où elle s’était brisée. J’ai suivi des études en BEP carrières sanitaires et sociales à Grand Quevilly et j’ai continué à me faire suivre par un psychiatre à Rouen.

Cette famille d’accueil ce n’était donc pas des Thénardiers ?

Non, et je la remercie de m’avoir permis de faire les études dont je rêvais, ainsi que de m’avoir autorisée à consulter un psychologue.

Cette famille d’accueil ne pouvait pas être pire que le foyer, et, sans oublier mes parents, je m’y suis créé une famille de cœur. Je suis encore en contact avec Vanessa, mon inséparable camarade de chambre, avec Cyprien, un autre enfant placé avec nous. Nous étions trois enfants de la DDASS venant d’Île-de-France.

La famille d’accueil était honnête, elle nous a dit combien elle touchait par enfant et expliqué que les tarifs différaient selon les départements. On a su que plus ils avaient d’enfants confiés, plus ils touchaient, on a même parlé avec eux de créer une association en faveur des enfants placés, mais c’est tombé à l’eau.

J’essayais d’être toujours souriante et j’attendais surtout l’occasion de voir mes parents, ils n’habitaient pas à côté mais venaient me chercher en voiture plutôt que de m’imposer 4 heures de trajet en train à chaque fois.

Une famille d’accueil exemplaire donc ?

Disons que je lui en veux aussi un peu car contrairement à d’autres enfants confiés je n’avais pas autant de libertés.

Par exemple une jeune fille de 16 ans est arrivée avec son bébé, placés dans cette même famille d’accueil. Elle pouvait sortir quand elle le voulait et je me retrouvais à garder son bébé. Ce n’est pas que cela me dérangeais car j’aime les enfants et je voulais devenir puéricultrice. Mais à cette époque j’étais plus âgée que la mère du bébé et pourtant moi je n’avais pas le droit de sortir pour rencontrer des amis à l’extérieur.

Une fois aussi j’ai pris une gifle qui m’a fait saigner du nez. Je lui ai dit qu’elle n’était pas ma mère et qu’elle ne le serait jamais, que personne n’avait le droit de me gifler à part mes parents qui ne l’ont jamais fait. J’ai rajouté que si elle recommençait je n’hésiterai pas à déposer une plainte. Elle est redevenue gentille et s’est excusée.

Vous avez donc vécu dans cette famille jusqu’à vos 18 ans ?

Oui, mais dès ma majorité je suis partie de chez cette famille, sans rien dire et du jour au lendemain en laissant toutes mes affaires là-bas.  Je me suis alors retrouvée en foyer d’hébergement d’urgence à Rouen, là, comme j’étais majeure, les sociaux ont appelé mes parents pour leur faire savoir où j’étais.

Mon père leur a demandé de me ramener par le premier train. Il est allé me chercher à la gare le soir même.  

Quelles étaient vos rapports avec vos parents ?

Mes parents ont toujours été là, c’étaient de bons parents.

En fait cela ne plaisait pas que je retourne chez eux, j’ai eu mon premier enfant alors que j’habitais chez mes parents. Ils m’ont aidé dans ma maternité, mon père était toujours là en cas de soucis et ma mère m’accompagnait partout : pour faire les courses, pour les rendez-vous médicaux.

Là les services de la protection de l’enfance sont revenus pour essayer de m’obliger à aller dans un foyer mère-enfant à 800 km de chez mes parents. Le cauchemar ne s’est donc pas arrêté puisqu’ils m’auront gâché ma vie d’enfant puis celle de mère et de femme en me poussant à la séparation.

Votre récit n’a donc rien du récit à la gloire des sociaux que les médias aiment nous faire entendre, nous vous remercions de ce témoignage et nous pensons aussi à votre papa qui n’est plus de ce monde.

Boris ne renonce pas !

Boris a construit un château pour ses enfants, pourront ils un jour le peupler de leurs cris de joie ?

Ce que vivent Daniela et Boris est un déchirement de leur famille dont les traces sont d’ores et déjà ineffaçables.

Tous deux de nationalité Bulgare, ils viendront s’installer en France en 2001, Boris y trouvera un emploi, puis se spécialisera dans l’informatique. Ils étaient d’abord unis par une profonde amitié et Boris a soutenu Daniela alors qu’elle attendait un enfant d’un autre homme, puis ils se sont unis et ont eu trois autres enfants. Même si leur train de vie est modeste et leur appartement strasbourgeois peu spacieux, Boris, par son travail, peut subvenir aux besoins de la famille et s’investir dans son rôle de mari et de père.

 Mais sa femme déprime, elle se sent déracinée en France. Elle se confie à celle en qui elle n’aurait pas dû avoir confiance, elle pense qu’elle aurait besoin d’aide car sa situation lui pèse. Et là, comme souvent, dans les affaires de placements d’enfant, le cauchemar commence.

Le décor est posé, une vulnérabilité au sein de la famille, une « confidente » qui s’immisce dans la vie de Boris et Daniela, le besoin formulé d’une main tendue et la machine sociale aliénante s’abat sur cette famille.

C’est une bonne conscience dégoulinante de ses vertus sociales, un enfer pavé de « fausse » bonnes intentions rabâchées à un public de naïfs qui va les écraser. Ronald Reagan nous l’avait bien dit « The nine most terrifying words in the English language are : I am from the government, and I am here to help ». Soit en français, les neufs mots les plus terrifiants sont : “Je suis fonctionnaire et je suis là pour aider ».

Voila donc comment Boris et Daniela furent aidés.

Leur situation va faire l’objet d’un signalement auprès des services sociaux par le fait de cette « confidente ». La fille aînée sera placée chez elle contre rémunération de cette « tiers de confiance », quant aux autres enfants ils seront d’abord mis sous observation puis placés dans une famille d’accueil.

Daniela ne supporte pas cette situation, elle est internée dans un hôpital psychiatrique. Boris pour rencontrer ses enfants, se lancer dans des  procédures et sortir sa femme de l’hôpital, ne peut plus assumer sa charge de travail et doit démissionner.

Le mal est fait et il est difficile de revenir dessus, Boris est devenu chômeur et la famille a été éclatée, Daniela s’en veut de s’être confiée et se sent trahie, ses paroles ont été déformées.

Mais non, je n’ai jamais dit que je voulais me suicider, j’ai juste employé une expression bulgare dans un mauvais français, dit-elle. Rien n’y fait, le rapport des services de la protection de l’enfance mentionne qu’elle est suicidaire et que l ’attitude du mari y est pour beaucoup. Eh c’est que les Bulgares sont particuliers ! Le bouc-émissaire de la bévue est trouvé et la machine rien ne saurait plus la faire reculer. Il est certains corps où reconnaître ses erreurs est une humiliation et puis le mal est déjà fait, alors autant continuer et d’ailleurs les protestations de Boris tombent à point nommé. Le bonhomme ne serait-il pas colérique, violent, mais c’est un danger pour les enfants cela, et puis il empêche sa femme de se soigner, évidemment c’est à cause de lui qu’elle est malade !

Sûr que si Daniela divorçait et nous racontait la vérité que l’on veut entendre, les choses pourraient s’arranger. Il nous faut un bouc-émissaire vous dis-je. Qu’importe d’ailleurs si les experts judiciaires et psychiatriques bulgares attestent des capacités de bon père de famille de Boris, de son comportement affectueux et responsable avec les enfants. Des Bulgares vous dis-je, leurs critères en terme de parentalité doivent être différents, forcément, imaginez vous cela une famille de Bulgare, ça vit pas dans les roulottes chez eux ?

La suite de l’affaire est cousue de fil blanc, elle ressemble à bien d’autres affaires et elle ne se règle pas d’elle-même. La descente aux enfers est complète, un rapport uniquement à charge sur la foi des déclarations de la dénonciatrice, tout élément à décharge étant, à leur sens, de peu d’intérêt. Une assistante éducative briefée pour rédiger le rapport qui convient et qui devrait se satisfaire de ce que de telles affaires justifient l’existence de son poste.

Oui parce qu’il faut bien le dire, qu’importe l’erreur d’appréciation, après tout les placements abusifs cela existe et s’il y en avait moins on pourrait s’attendre à des suppressions de poste dans les services de la protection de l’enfance. Et en y réfléchissant un peu, nul n’est vraiment innocent, vous-mêmes qui nous lisez, ne pensez vous pas qu’avec vos pratiques éducatives habituelles vos enfants seraient mieux placés en foyer ou famille d’accueil ? Non vraiment, vous ne savez pas vous remettre en cause alors !

Mais passons, les raisonnements d’une partie trop importante des professionnels des services sociaux sont aberrants mais d’une froide logique puisque la misère sociale est leur métier. Je suis fonctionnaire de l’aide sociale à l’enfance et je suis là pour vous aider !

Aide sociale à l’enfance vraiment, en quoi les enfants de Boris et Daniela ont-ils été aidés ?

Bulgares eux aussi, ils ont perdu le contact avec leur langue et leur culture d’origine. Ils ont été assimilés pour vivre en bons français qui croient encore au papa Noël État (il faut rappeler que les Bulgares ont eu la chance de vivre sous un régime communiste mais ont fini par chasser ce bienveillant régime : que les enfants goûtent au moins à l’Etat nounou de l’exception française !).

Le fils aîné a été placé dans une famille d’accueil, il a été séparé de ses deux cadettes hébergées dans une autre famille dans laquelle, elles seront victimes de mauvais traitements physiques et psychologiques. Eh oui, c’est pas si difficile d’être famille d’accueil et ce cas là n’est pas isolé non plus.

Les enfants sont tristes, leur contact avec les parents sont un déchirement lors de la séparation dont sont témoins des éducateurs car toutes les visites sont médiatisées.

Boris et Daniela savent que leurs deux filles sont l’objet de mauvais traitements. Et là on va encore descendre plus bas dans la maltraitance institutionnelle, car Boris en dénonçant la situation d’urgence de ses filles va perdre le droit de les appeler, sa parole n’est pas crédible et celle de la famille d’accueil va l’accabler et sera pour beaucoup dans la prolongation de la séparation. La justice reconnaîtra plus tard la véracité des propos du père au sujet de cette famille, mais la punition de Boris et de ses enfants n’est pas réversible.

Ne supportant plus cette situation, Daniela ne veut plus revenir en France et parle à ses enfants au téléphone.

Années après années les mesures de placement sont reconduites. Elles le seront tant que  Boris ne comprendra pas le bien-fondé de telles mesures et même si une association, bien française celle-là, lui reconnaît amplement les qualités d’un père attentif.

Dans leur malheur, les enfants sont de bons élèves, mais ils l’étaient déjà avec Boris et Daniela, ils peuvent compenser leur malaise par les études. L’institution en vient à œuvrer pour qu’ils oublient leurs parents, peut-être pour alléger leur douleur ?

Ah si Boris acceptait de s’accabler et de reconnaître ses torts – quitte à les inventer – , on lui rendrait peut être enfin ses enfants ! Enfin, pour ceux qui en d’autres temps d’autres époques ont connu les pratiques de l’auto-critique le peloton n’était jamais bien loin.