Un bon placement est un placement qui dure !

Ce témoignage livré par des grands-parents démontre que lorsqu’une famille tombe, à tort ou à raison, dans les griffes de l’ASE, il lui est très difficile de s’en tirer. Même si la famille parvient à sortir de sa situation de précarité initiale.

Pour les services de l’ASE, pas de doute, un bon placement est un placement qui dure.

CEDIF : Bonjour Monsieur et Madame Taquet, vous avez souhaité vous faire entendre face à la situation de vos petits-enfants placés, comment tout cela est-il arrivé ?

M-Mme T : Tout est parti d’une situation de précarité dans laquelle vivait notre fils.

Il s’est installé en Haute Savoie avec sa compagne en 2006, ils ont rapidement connu des difficultés financières et se sont rapprochés géographiquement de nous. Nous ne connaissions pas alors l’ampleur de leur difficultés et nous avons essayé de les aider par nos conseils et financièrement autant qu’il était possible.

Malheureusement ce n’était pas suffisant, nous avons alors demandé de l’aide à une assistante sociale afin qu’ils puissent obtenir un appartement plus spacieux, qu’ils soient épaulés pour gérer leur intérieur, leurs comptes.

doigt dans l'engrenageCEDIF : Aïe, le doigt dans l’engrenage ….

M-Mme T : Oui, d’autant que la situation ne s’est pas arrangée. Après la naissance de notre petite-fille, la maman a subi une dépression post-natale. C’est vrai qu’à ce moment là le logement était sale, mal rangé surtout avec la venue d’un chiot qui a grandi très vite.

Notre fils et notre belle-fille avaient encore besoin de mûrir pour faire face à leurs nouvelles obligations parentales. Un deuxième enfant est arrivé en août 2009.

CEDIF : C’est à ce moment qu’un signalement a été émis ?

M-Mme T : Disons que l’état sanitaire du logement posait problème et notre petite-fille était souvent malade, le CHU de Grenoble prit l’initiative d’un signalement. La PMI demanda qu’un suivi puisse être réalisé dans leur centre plutôt qu’à domicile.

Puis la descente aux enfers commença. En fin 2009 une assistance éducative provisoire est mise en place, seulement quelques jours par semaine. Puis le provisoire dure et au début 2010, les droits de visite des parents se limitent à un week-end sur deux. Alors que notre belle-fille connaît sa troisième grossesse, il est décidé de placer les enfants à temps plein dans une famille d’accueil. Certes, les parents conservaient l’autorité parentale mais sans pouvoir l’exercer.

CEDIF : Les parents prennent-ils alors conscience de leur situation, les problèmes de tenue du ménage évoluent-ils ?

M-Mme T : Oui, ils arrivent à mieux se gérer et espèrent pouvoir au moins garder auprès d’eux notre petit-fils qui vient de naître en décembre 2010. Mais un impayé d’EDF va avoir des conséquences désastreuses, l’enfant leur est enlevé en octobre 2011 alors qu’aucun autre problème notable n’existait.

CEDIF : Les enfants se retrouvent donc tous dans la même famille d’accueil ?

M-Mme T : Non, en 2012 notre petite fille aînée est séparé de son frère pour un placement en famille relais. Nos trois petits-enfants se retrouvent dans trois familles d’accueil différentes.

CEDIF : Depuis 2009 pour les services sociaux la situation des parents est donc sans évolution ?

M-Mme T : Exactement, les rapports de l’ASE sont systématiquement à charge et donc tous les ans les placements sont renouvelés. C’est bien l’ASE qui a tous pouvoirs décisionnaires sur notre famille puisque la justice, dans notre cas,  va aller dans le sens de leurs préconisations.

Pourtant notre fils et sa compagne se sont mariés en juillet 2013, notre belle-fille a trouvé un emploi. Ils décident de déménager pour être mieux installés et là l’ASE de l’Isère leur reproche de s’être trop impliqués dans leur mariage, dans une nouvelle vie qui les fait progresser. Il est même dit qu’en annonçant aux enfants qu’ils déménageaient, notre fils et belle-fille leur avait causé une grave perturbation.

La punition tombe, l’ASE modifie les droits de visite, puis les suspend, la juge des enfants suit puisqu’en décembre 2013 les droits de visite sont restreints.

Ce qui est extraordinaire c’est qu’auparavant, l’ASE38 reprochait aux parents de ne pas appliquer leurs directives, de ne pas faire assez d’efforts pour entretenir leur intérieur et trouver un emploi stable. Maintenant que les parents travaillent et se sont responsabilisés,  ils leur reprochent d’évoluer vers de nouveaux horizons pour le bien être de toute leur petite famille.

CEDIF : C’est classique, l’objectif des travailleurs sociaux est de maintenir et développer les mesures pour ne pas perdre de postes ou de budget, ils ont des rapports tout prêts pour justifier leurs interventions.

Mais si il y a eu initialement défaillance des parents, il aurait été possible de vous désigner tiers de confiance, avez-vous aussi été exclus de la vie de vos petits-enfants ?

M-Mme T : Notre fille, la tante des enfants, avait demandé en 2012 le statut de tiers de confiance pour nos trois petits-enfants. Cela a déclenché une mesure d’investigation des services sociaux et, bizarrement, notre fille en perdra tout droit de visite sur l’année 2013 !

C’est donc bien toute la famille qui est mise de côté. Nos droits de visite ont été suspendus en 2014 pour nos deux petits-fils. L’ASE n’a pas digéré les efforts d’insertion de notre fils et de notre belle-fille, efforts couronnés de succès. Elle n’a pas supporté non plus la demande de notre fille dans l’intérêt des enfants.

CEDIF : C’est atterrant, on cherche donc à priver vos petits-enfants de leurs liens familiaux.

M-Mme T : Oui, tout notre travail de construction du lien affectif et de repères familiaux auprès de nos trois petits-enfants s’est retrouvé réduit à peau de chagrin. Tout cela sur la foi de rapports arrangés et mensongers des familles d’accueil et de l’ASE qui ne pensent qu’à leur tranquillité, à leur organisation, et à leurs quotas budgétaires, notre RDV du 20 février 2014 avec l’ASE38 n’a abouti à rien de concret pour nous.

Ils nous ont donc pris à nouveau en otage pour nous soumettre à leurs décisions.

CEDIF : Aujourd’hui où en êtes vous ?

M-Mme T : L’ASE demeure dans les faits seule à décider et peut annuler des visites de sa seule volonté : les parents ne peuvent voir leurs trois enfants qu’une heure tous les quinze jours. En tant que grands-parents nous avons subi la suspension des appels téléphoniques à nos petits-enfants.

Nous sommes ignorés, méprisés, notre petite-fille demande à venir passer des séjours en famille, mais ils ne l’écoutent pas !

Nous sommes passés par des états de solitude, de remises en questions, de culpabilité, de discriminations, d’incompréhensions … transformées en REVOLTÉS. Malgré la rencontre avec Mme Perillié et Monsieur Tixier, du Conseil Général de l’Isère, malgré le courrier sans suite adressé à Monsieur Vallini, malgré la réponse très vague et sans engagement de Monsieur Cottalorda, nouveau Président du Conseil Général de l’Isère, malgré l’annulation du RDV avec Monsieur Barbier, Député de l’Isère,

… nous continuons notre combat.

 CEDIF : Vous le continuez aussi au sein du CEDIF, merci d’avoir alerté nos lecteurs dont beaucoup reconnaîtront ce qu’ils vivent dans votre combat contre une administration déshumanisante.

Il est tombé par terre … c’est la faute à sa mère

Un de nos adhérents nous signale un entrefilet dans le magazine du Conseil général du Val de Marne de mai 2012 en page 7. Je cite :

 Livre. Jean-Louis Mahé, psychologue au foyer de l’enfance de Vitry-sur-Seine, publie un livre de témoignages de personnels qui côtoient chaque jour les jeunes placés dans les institutions de protection de l’enfance. Polyphonie en internat, paroles de professionnels de collectivités de l’aide sociale à l’enfance, aux éditions Champ social.

Le Conseil général fait d’ailleurs une large promotion à l’ouvrage :

http://www.cg94.fr/webtv/familles/22848-polyphonies-en-internat.html

Première interrogation qui me vient à l’esprit, le livre dénonce-t-il une situation comme nous le faisons dans notre rapport sur le protection de l’enfance (https://comitecedif.wordpress.com/rapport-sur-la-protection-de-lenfance), ou au contraire  défend-il l’institution du placement de nos enfants en se lamentant sur des budgets et en jouant le corporatisme de l’ASE ?

Un petit surf sur le net (http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-116955-polyphonies-en-internat-paroles-de-professionnels-de-collectivites-de-l-aide-sociale-a-l-enfance.htm)  nous donne une première idée puisque les personnels de l’ASE sont présentés ainsi :

… les grands, les adultes, les professionnels, ceux-là même qui protègent, décident, organisent, encadrent, éduquent, interdisent, accompagnent, consolent, ceux qui sont là dans le quotidien de l’enfant placé. Qu’ont-ils à dire, à leur tour, ces professionnels de l’enfance en danger sur ces enfances qu’ils accueillent parce qu’elles sont en danger ou en souffrance ?

Pour aller plus loin il faut effectuer une recherche sur l’auteur. Pas bien difficile d’ailleurs car le bonhomme aime à exprimer ses choix. On le retrouve ainsi dans une interview accordée à Libération (http://www.liberation.fr/societe/0101611302-les-enfants-de-la-ddass-sont-toujours-stigmatises) au cours de laquelle il est interrogé sur l’avenir des enfants placés.

Nous nous sommes déjà penchés sur ce problème (https://comitecedif.wordpress.com/2011/04/06/que-vont-ils-devenir), mais il est intéressant de suivre les raisonnements de ce psychologue travaillant en foyer qui est allé rencontrer des adultes avec un passif en ASE.

Ce que l’on peut constater d’emblée c’est l’absence de remise en cause des placements. Pour Jean-Louis Mahé, les enfants placés ont des « origines difficiles », il parle d’une violence subie dans l’enfance ou l’adolescence qui « laisse des traces dans l’existence ».

L’exclusion sociale consécutive au placement n’aurait donc pas son origine dans le placement mais dans les traumatismes vécus au sein des familles d’origine :

« Ils dépensent de l’énergie pour faire ce que d’autres font simplement, car ils n’ont pas reçu cette énergie qui normalement est transmise par ceux qui vous ont mis au monde… Quand on a des parents qui vous aiment et qui voient en vous le plus grand des hommes, c’est plus facile pour la vie future. Quand il n’y a pas cela et qu’en plus il y a de la maltraitance, de la violence, il faut tout reconstruire ».

Je ne suis pas certain que les parents d’enfants placés se retrouvent dans une telle description qui devrait faire réagir avec dégoût ceux d’entre eux qui aiment leurs enfants. Certes dans de nombreux cas les enfants placés ont pu être délaissés, voire maltraités par leurs parents, mais ces cas ne sont pas la généralité que présente Mahé.

Au-delà il y a un constat d’échec que nous ne pouvons que partager : la construction d’une personnalité équilibrée et autonome ne peut se faire dans un foyer. Allons plus loin cependant, et posons que la déstructuration de la personnalité peut être imputable à une mise en foyer et n’implique donc pas nécessairement une incapacité éducative des parents.

Là encore, Jean-Louis Mahé ne prend aucun recul vis-à-vis des responsabilités de l’institution. Il reprend l’opposition entre l’intérêt des parents et celui des enfants dessinée par le docteur Maurice Berger (https://comitecedif.wordpress.com/2012/02/03/les-visites-mediatisees-un-instrument-de-rupture-parentale/) tout en dénonçant la volonté de rendre compatibles ces intérêts. Pour lui, les enfants placés sont d’abord les victimes de leurs parents et ceux-ci « n’ont pas forcément la capacité d’évoluer, de devenir de « bons parents ».

Beaucoup de parents penseront là à la pression de reconnaissance de « leurs  torts », à l’exercice d’une autocritique, à la nécessité de s’humilier pour retrouver la possibilité de rencontrer leurs enfants. C’est au psychologue qu’est Jean-Louis Mahé qu’il appartiendrait alors de trancher en se prononçant sur la sincérité de la contrition des parents. Là encore, faute de cette remise en cause et, conséquemment, faute d’une rupture définitive du lien, l’enfant n’aurait aucune chance d’établir de nouvelles bases lui permettant d’échapper à une spirale de marginalité.

L’ASE n’aurait donc pour seul défaut que sa trop grande volonté de complaire aux parents comme l’énonce le psychologue :

« Aujourd’hui, les placements d’enfants sont moins longs, plus séquentiels. La famille y est plus associée. Est-ce bien ? Ne vaut-il pas mieux maintenir à distance l’enfant maltraité de ceux qui sont à l’origine de ses malheurs et lui offrir la possibilité de décider de faire ce qu’il veut à l’âge adulte ? »

Effrayant pour des parents n’ayant jamais maltraité leurs enfants !

Quant on connaît les réalités des placements abusifs on peut que se scandaliser d’une telle vision idéologique et ne pas s’étonner des énormités contenus dans des rapports socio-éducatifs.

Fallait-il donc aller si loin dans la charge anti-famille pour détourner les regards de l’échec de l’ASE, incapable d’assurer un avenir aux enfants placés ?