Charles Caro, personne qualifiée, répond au CEDIF

Les missions de la personne qualifiée

CEDIF : Bonjour Monsieur Caro, vous avez été désigné par l’Agence Régionale de Santé (ARS) et le Président du conseil départemental de Loire-Atlantique comme « personne qualifiée » pour le secteur social et médico-social. Pouvez-vous nous préciser en quelques mots les missions qui vous sont confiées à ce titre ?


Charles CARO : Bonjour, j’ai effectivement été désigné « personne qualifiée » par arrêté en date du 3 février 2020.
Mes interventions peuvent concerner les Personnes Âgées et les Personnes Handicapées, mais aussi, à ma grande surprise, le domaine de la protection de l’enfance.
Mes missions ne consistent pas à évaluer les politiques publiques mais à aider les Personnes à faire « valoir leurs droits », comme l’indique l’article L 311-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF). Je ne peux pas diligenter d’enquêtes ni des contrôles, ni m’immiscer dans les procédures, mais seulement agir pour faciliter les relations voire le dialogue, proposer des préconisations ou faire des propositions ou recommandations.

CEDIF : Quel est le parcours qui vous a amené à devenir une personne qualifiée ?

Charles CARO : J’ai exercé pendant plus de 40 ans des fonctions au sein de plusieurs organismes de Sécurité Sociale, et ai été pendant 21 ans directeur adjoint de la CRAM (Caisse Régionale d’Assurance Maladie) devenue en 2010 la CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite de la Santé Au Travail). Je suis actuellement en retraite.

CEDIF : Quelle est votre approche des situations ou dossiers dont vous êtes saisi, et la méthode de travail que vous déployez ?

Charles CARO : Je n’assure pas de permanences ou accueil physique. Tout se passe par télétravail et téléphone, le soir souvent. Je passe beaucoup de temps à écouter les Personnes qui me saisissent, auprès desquelles je sollicite les pièces et justificatifs nécessaires à l’instruction de leur demande d’intervention.

Les interventions significatives que je réalise donnent lieu à un rapport diffusé, sous le sceau du secret professionnel et de la confidentialité, aux trois Institutions m’ayant désigné conjointement en Loire-Atlantique, soit Monsieur le Préfet, Monsieur Président du Conseil Départemental et Monsieur le Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé (ARS), ainsi qu’aux personnes ayant déposé la demande d’intervention et aux personnes ou structures concernées par cette intervention.

CEDIF : Donc toute personne, toute famille ayant à se plaindre des conditions de placement de ses enfants, d’une atteinte à son autorité parentale par l’ASE, de l’absence d’un véritable projet pour l’enfant voire d’un placement abusif peut vous saisir ?

Charles CARO : Tout à fait, les familles en conflit avec l’ASE dans le département de Loire-Atlantique peuvent me saisir  puisque j’interviens au titre de l’article L 311-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF), prévoyant que « toute personne prise en charge par un établissement ou un service social ou médico-social ou son représentant légal peut faire appel, en vue de faire valoir ses droits, à une personne qualifiée », désignée à cet effet.

La question du respect des droits et intérêts fondamentaux des enfants mineurs se pose !

CEDIF : Vous êtes bénévole dans cette fonction depuis près de trois ans, vous n’intervenez pas seulement sur la protection de l’Enfance, mais les recours pour lesquels vous êtes saisis dans ce domaine sont-ils nombreux ?

Charles CARO : Oui, jusqu’à présent, j’ai été principalement saisi pour des situations relevant de la Protection et l’Aide Sociale à l’Enfance. J’ai été conduit à signaler dans ce domaine des situations de  non-respect de certaines dispositions légales et réglementaires pourtant élémentaires, et protectrices des droits et intérêts fondamentaux d’enfants mineurs. Le non-respect de ces dispositions observé en Loire-Atlantique génère en effet un risque systémique qui fragilise les droits et intérêts d’enfants faisant l’objet de mesures de protection, et entrave l’exercice conjoint des droits et obligations constitutifs de l’autorité parentale du couple qui demeure même en cas de séparation.

CEDIF : Les parents dans l’incompréhension du rouleau compresseur ASE qui leur tombe dessus sont très demandeurs de soutien et d’information, vous devez être très sollicité.

Charles CARO : Des parents ont pris contact avec moi et ont exprimé des situations délicates voire douloureuses qui n’ont pu donner lieu systématiquement à une intervention notamment dans la mesure où j’ai pu être sollicité par des familles hors du département de Loire-Atlantique et ne relevant donc pas de mon champ territorial d’intervention.

Pour la Loire-Atlantique, quatre demandes d’intervention sont en instance d’examen et sept interventions ont été réalisées à la demande de personnes non déchues de leur autorité parentale mais rencontrant de réelles difficultés pour faire respecter les droits et intérêts fondamentaux de leurs enfants faisant l’objet de mesures éducatives à domicile, en milieu ouvert, ou encore d’un placement au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).

CEDIF : Êtes-vous étonné de l’importance relative des saisines pour des problèmes liés à l’ASE ?

Charles CARO : Oui, certes l’Aide Sociale à l’Enfance est probablement l’une des compétences les plus délicates et redoutables confiées aux Départements par les lois de décentralisation, mais elle bénéficie d’importants moyens soit 9 milliards d’euros environ chaque année financés principalement par les Départements. Les moyens existent donc pour travailler correctement.

CEDIF : Travailler correctement ou étendre leur domaine d’intervention ?

Charles CARO : La question est effectivement posée. En France, plus de 300 000 enfants relèvent de la protection de l’enfance. Ces chiffres ont augmenté sensiblement au cours des dernières années, et révèlent une crise de la Parentalité. Les enfants peuvent être placés, en général en raison de la violence ou du réel danger que peut présenter le milieu familial, voire de l’impécuniosité ou de la précarité des parents, mais la situation a évolué et ce régime est appliqué à des situations de plus en plus nombreuses : un conflit parental, certaines maladies de l’enfant comme l’autisme, ou encore des cas de « femmes battues »…

CEDIF : Vous pourriez donc être bien davantage sollicité.

Charles CARO : À mon connaissance je suis la seule personne qualifiée désignée  à ce jour pour le département de Loire-Atlantique. Ce qui me conduit à un exercice solitaire de cette fonction bénévole. De plus chaque affaire me prend, en moyenne, 150 à 200 heures, suivi de l’intervention compris et je ne traite qu’un dossier à la fois car je ne peux répondre à toutes les sollicitations.

Mais, en Loire-Atlantique, les demandes d’intervention de la « personne qualifiée » doivent naturellement s’apprécier par rapport à environ 6000 mesures de Protection et d’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) en cours dans le département, dont 2800 mesures de placement et 3200 mesures d’accompagnement ou d’action éducative ou préventive à domicile.

De graves dysfonctionnements aux conséquences dramatiques en assistance éducative

CEDIF : L’ASE de Loire-Atlantique n’est pas une exception, nous avons déjà été saisi par des familles de votre département et d’ailleurs pour de mêmes difficultés.

Charles CARO : Ce n’est pas non plus étonnant, d’ailleurs Madame la Défenseure des Droits est actuellement saisie de plusieurs situations délicates, et une instruction de certaines situations concernant la Loire-Atlantique est en cours au vu de dysfonctionnements signalés par des familles, mais aussi par certains professionnels de la protection de l’enfance et de santé.

En outre, de graves dysfonctionnements aux conséquences dramatiques ont été mis en évidence dans deux départements de la région par un Rapport définitif, réalisé conjointement par l’Inspection Générale de la Justice (IGJ), -N°057-22-, et l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), -N°2022-007-R, publié le 16 août 2022, au terme d’une « Mission de contrôle interministérielle suite au décès d’un enfant suivi en assistance éducative« …

Les interventions réalisées en Loire-Atlantique, faisant l’objet de mon rapport d’activité, ont également permis de constater un malaise réel résultant, pour les situations examinées, du non-respect de certaines dispositions légales et réglementaires, pourtant élémentaires et protectrices des droits des Enfants, mais aussi des Parents, alors que ces dispositions sont de nature à favoriser un exercice plus consensuel et conjoint de l’autorité parentale, conformément à la lettre et à l’esprit du Code civil.

CEDIF : Vous avez donc tiré la sonnette d’alarme ?

Charles CARO : Comment faire autrement ? Cette situation n’est pas sans conséquences en termes de Santé publique, ce qui m’a conduit dans la perspective du Projet Régional de Santé (PRS), à attirer l’attention de l’Agence Régionale de Santé (ARS) et de la Conférence Régionale de la Santé de l’Autonomie (CRSA), sur la nécessité d’une vigilance face aux situations de maltraitance d’enfants dans les Institutions et Établissements de Protection de l’Enfance.  

CEDIF : Face à ces pratiques « dysfonctionnelles », le projet pour l’enfant (PPE), pas toujours mis en place et souvent réalisé sans concertation, pourrait-il enfin  devenir un outil de contrôle en fixant des objectifs à atteindre permettant de déterminer l’utilité (ou non) des mesures ?

Charles CARO : Oui, il faut d’ailleurs rappeler que le Projet Pour l’Enfant (PPE) est obligatoire et l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), en rappelle d’ailleurs l’importance en soulignant que « Cette obligation légale vise pourtant à garantir le développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social de l’enfant en cohérence avec les objectifs fixés dans la décision administrative ou judiciaire le concernant. Ce document doit accompagner le mineur tout au long de son parcours au titre de la protection de l’enfance« .

Une présomption de culpabilité pèse sur les parents

CEDIF : En admettant que toutes les mesures légales soient mises en place afin de respecter enfin les prérogatives parentales et le bien-être des mineurs faisant l’objet de mesures, il n’en reste pas moins que l’ensemble de ces mesures allant jusqu’aux placements sont injustifiées dans les trop nombreux cas de placements abusifs. Vous reconnaissez l’existence de tels placements abusifs qui abiment des enfants ?

Charles CARO : Pour vous répondre, il est vrai que la procédure d’instruction des mesures d’assistance éducative et de placement est très fréquemment contestée et critiquée. Cette observation n’est pas particulière ou spécifique à la Loire-Atlantique. 

Les textes actuellement applicables paraissent en effet attentatoires aux droits fondamentaux des parents, voire des enfants mineurs, car la sanction est préalable, avec le placement de l’enfant en début de procédure à raison du principe de précaution. De fait, une «présomption de culpabilité»  des parents semble être appliquée, et constituer une exception dans le système judiciaire français.

La contrepartie de cette entorse aux principes fondamentaux du droit, devrait se traduire par une réelle possibilité de se défendre, ce qui ne semble pas vraiment le cas, surtout pour les parents « bienveillants » confrontés à une situation de risque ou de danger d’agressions sexuelles ou incestueuses, comme le confirment d’ailleurs les travaux nationaux et les préconisations et recommandations de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE).

CEDIF : Le placement relève donc d’une procédure kafkaïenne qui touche sans distinction les bons et les mauvais parents, une fatalité sans recours si ce n’est en suppliant les intervenants sociaux et magistrats dans leur bienveillance.

Charles CARO : Oui, les parents considèrent fréquemment qu’ils n’ont pas vraiment la possibilité voire le droit de se défendre, et qu’ils ne sont pas vraiment acteurs de « leur procédures ». Ils peuvent faire des demandes, mais le juge n’est pas obligé de leur répondre et, dans la pratique ne le fait pas, ou le fait dans des délais ne paraissant pas raisonnables. Ainsi les parents peuvent demander un droit de visite pour un anniversaire ou un autre évènement familial ou convivial, ou la possibilité pour les grands parents de voir l’enfant, une expertise psychiatrique, une extension de droit de visite, une visite libre, un droit d’hébergement de week-end, sans jamais recevoir de réponse du magistrat.

CEDIF : Vos rapports d’intervention ont-ils permis d’infléchir les services départementaux de l’Enfance, l’institution judiciaire ?

Monsieur Charles CARO : Je ne suis pas là pour contrôler les services, mais pour faciliter le dialogue. J’ai un pouvoir d’instruction mais aucun pouvoir d’injonction, ni encore moins d’évaluation des décisions ou mesures prises. Je ne peux pas entreprendre des démarches à la place de l’usager ni contraindre un établissement à répondre à mes courriers. Toutefois, le fait d’être mandaté à la fois par l’ARS et le Département, avec l’accord du Préfet, qui sont destinataires de mes rapports d’intervention n’est pas négligeable.

Il convient de souligner que le Département de Loire-Atlantique a réellement pris en compte mes interventions dans le secteur de la Protection et de l’Aide Sociale à l’Enfance, alors que certains départements semblent l’admettre difficilement ou même s’y opposer.

CEDIF : Avez-vous pu préconiser des solutions à votre niveau ?

Charles CARO : Il apparaît important, voire urgent, de mettre cette matière en conformité avec les principes fondamentaux du droit, par exemple en donnant à chaque partie les moyens d’être acteur de son procès, afin que le magistrat réponde par ordonnance motivée dans les 15 jours aux demandes formulées par le conseil des parties, et que, le cas échéant, l’appel de l’ordonnance rendue soit tranché par la Cour dans les deux mois.

En cette matière, il n’y a le plus souvent qu’un seul document de travail à l’audience, « le rapport des services sociaux ». Ce document est en pratique consultable par les parties, dans le bureau du juge et au mieux, deux à trois jours avant l’audience, et la plupart du temps, la veille ou le matin même. Il n’est dès lors pas possible d’organiser une défense, ce qui constitue un droit, et l’audience est un procès au cours duquel on doit pouvoir débattre en ayant chacun connaissance bien avant l’audience des arguments opposés. C’est le principe du contradictoire, pilier du système juridique français depuis le droit romain. Ce principe n’existe pas réellement en pratique dans cette matière, ce qui est préjudiciable en particulier lorsque cette situation est de nature à entraver  la défense des intérêts de personnes et parents bienveillants et protecteurs d’enfants pouvant être en situation de danger, de souffrance ou de risques d’agressions sexuelles ou incestueuses….

La possibilité est à examiner de rendre obligatoire la communication du rapport par le juge à chaque partie, dans un délai raisonnable de 15 jours précédant l’audience à peine de nullité de la procédure. 

En effet, il n’est pas acceptable d’organiser un procès sans que l’on sache de quoi on va débattre avant l’audience et sans avoir pu préparer un argumentaire de défense. Cette situation est particulièrement délicate et préjudiciable au respect des droits de l’Enfant lorsque ne sont pas respectées les dispositions, déjà citées, relatives au Document Individuel de Prise En Charge (DIPEC) et au Projet Pour l’Enfant (PPE)… 

CEDIF : Nous avions évoqué cet aspect fondamental dans https://comitecedif.wordpress.com/2012/03/05/de-la-justice-des-mineurs-dans-le-meilleur-des-mondes/, la notion de procédure contentieuse n’est toujours pas admise et les services de l’ASE sont considérés comme des experts venant en aide aux familles, cette vision explique aussi le huis-clos et un formalisme limité. C’est évidemment un problème.

Charles CARO : Raison pour laquelle il existe de nombreux conflits lors ou à la suite des audiences de protection de l’enfance, au moment du placement d’enfant ou de son renouvellement. Le huis clos protège certes l’enfant, mais il permet aussi des dérapages. En outre, pour éviter toute discussion et tout débordement aux audiences qui ne sont pas publiques, ces audiences pourraient être filmées afin de contrôler a posteriori si des difficultés ont eu lieu. 

Une intervention qui peut être prise en compte

CEDIF : Si vous pouviez être entendu …

Charles CARO : Je n’ai pas une telle prétention, mais j’espère faire un travail utile, tout simplement. La protection de l’enfance concerne en effet un socle fondamental de la société: la famille, et dans ce domaine, les droits de la défense sont insuffisants, voire absents pour les enfants mineurs. Il convient de rétablir un équilibre afin de donner à chaque intervenant de véritables moyens d’action et de défense. C’est dans cet esprit que j’ai pu émettre des propositions et des recommandations invitant à respecter les dispositions légales et réglementaires relatives au Document Individuel de Prise En Charge (DIPEC) et au Projet Pour l’Enfant (PPE), et surtout à en faire un bon usage, dans l’intérêt supérieur des Enfants concernés par les dispositifs de Protection et d’Aide Sociale à l’Enfance.

Car, comme le faisait observer Antoine de Saint-Exupéry, « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais très peu s’en souviennent ! »