De la Justice des mineurs dans le meilleur des mondes


Comment s'articule le  contradictoire en justice familiale ?
Comment s’articule le contradictoire en justice familiale ?

Quelle place laisser au contradictoire dans la justice des mineurs ? L’AFMJF répond en faisant du véritable contradictoire un artifice procédural destiné à mettre en cause le travail des professionnels du social. Une analyse qui n’est bien évidemment pas la nôtre et que  condamnera la CEDH.

« L’originalité et l’humanité de l’assistance éducative »

L’Association Français des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille met en ligne un grand nombre d’articles issus de sa revue : « La Lettre de Mélampous ». De multiples sujets en prise directe avec la problématique de la justice des enfants sont abordés. Parmi ceux-ci, un en particulier m’a fait réagir et ne peut laisser indifférent les militants de la cause de l’enfance et de la famille. Ce sujet, abordé sous la plume de Michel Rismann en 2001, est le respect du contradictoire en justice des enfants. Son titre conclu déjà la question par un « Le contradictoire en assistance éducative existe ! »

Pourtant, dès les premières lignes de l’article l’AFMJF semble dénoncer le contradictoire comme une procédure formaliste qui tuerait ce que le juge Rismann appelle « l’originalité et l’humanité de l’assistance éducative ».

Les mots expriment quelquefois le contraire de la réalité qu’ils décrivent, on appelle cela la novlangue, concept développé par Orwell dans 1984.

« L’humanité de l’assistance éducative » relève d’un tel concept, puisqu’elle ne passe pas par la communication des pièces, l’accès au dossier, la copie des rapports, mais par la « forte implication du juge pour un débat contradictoire à l’audience, la recherche de l’adhésion, le respect de la sensibilité des personnes ».

Autrement dit, dans le monde des Bisounours de la justice des enfants et des familles, le contradictoire consisterait pour les parents à se livrer à la nécessaire humanité des travailleurs sociaux et des juges. Et le juge Rismann de dénoncer « certains » pour qui « la procédure devant le juge des enfants opposerait les familles aux professionnels du travail social, engagés dans un véritable combat. »

Le contradictoire comme une insulte aux travailleurs sociaux

Les obsédés de l’équité du procès seraient donc animés de mauvaises intentions et se placeraient à la limite de l’outrage à fonctionnaire du social, tant est qu’une telle qualification puisse prospérer. Ainsi une présentation « délibérément provocatrice et dévalorisante pour les travailleurs sociaux » consisterait à dénoncer des écrits méprisants de leur part, des « commentaires rapportés de façon approximative, hâtive, peu argumentée, avec un vocabulaire inapproprié ou inutilement blessant ».

Si le juge Rismann mentionne que de telles pratiques ne sont pas perceptibles dans les cabinets des juges de l’AFMJF, je peux lui préciser que ces façons de procéder sont loin d’être rares et que les bénévoles de la protection des familles vérifient bien la réalité de telles pratiques. Je me permettrai donc de faire connaître des pressions sur témoins et faux calomnieux introduits sciemment dans des rapports dont je réserve la primeur au livre noir de la protection de l’enfance.

Où l’on reparle des fameux experts 

Le magistrat ajoute encore que «les professionnels du travail social ne sont pas, sauf le cas particulier du service gardien, désignés par la loi comme parties au procès » et il les qualifie davantage comme des experts : « le juge s’adresse à eux un peu comme à des experts, en tout cas des spécialistes de l’action éducative ».

Soit, là est bien la place inconsidérément donnée aux travailleurs sociaux, mais a-t-on déjà vu des procédures lors desquelles les expertises ne seraient pas systématiquement transmises aux mis en examen ?

Aux mis en examen donc et pas aux parties, car dans ses efforts pour extraire les travailleurs sociaux du rôle de partie tout aussi bien que du rôle de représentant de la politique familiale de l’État, le juge Rismann leur octroie une fonction principale : celle  d’observateurs impartiaux car professionnels de l’enfance, à ce titre capables de juger. Oui de juger des capacités éducatives des parents, car ces « professionnels ont incontestablement acquis une grande maturité dans la rigueur et l’objectivité de l’analyse ». Je n’invente nullement la parie en italique et l’adverbe « inconstestablement » a bien été utilisé.

Une analyse incontestablement objective ne laisse aucune place à son questionnement.

Par conséquent, que  le dossier d’assistance éducative ait ou non été consulté ne change  strictement rien à l’affaire puisqu’une telle possibilité ne donne pas le droit aux parents d’être audibles lorsqu’ils remettent en cause les « expertises » des professionnels du social, même quand celles-ci comportent des faux.

Quel rôle reste-t-il pour les parents ?

Pourrait-on alors considérer, que, sans que le principe du contradictoire ne soit remis en cause, l’on puisse aller jusqu’à exclure la présence des parents lors des audiences ?

Mais pourquoi pas puisque l’originalité de cette procédure est qu’elle tient davantage de l’inquisitoire avec présomptions irréfragables servie par des procureurs et experts, que d’une procédure accusatoire dans laquelle deux parties égales confrontent leurs arguments.

La place des parents n’est donc pas celle d’une simple partie à mettre sur le même plan que celle des éducateurs, ils sont plus bas, bien plus bas et plus bas que terre trop souvent.

S’ils ont leur place c’est sur la sellette, afin d’admettre à raison et quelquefois à tort les faits, le diagnostic et les solutions, tels qu’ils leur sont présentés. Leur seul droit est d’adhérer, comme il l’est dit au début de l’article, aux préconisations de ceux qui savent.

Le formalisme du contradictoire n’aurait pas sa place dans un monde où la vérité sort de la bouche des travailleurs sociaux, puisqu’il est question du seul bien commun des parents et des enfants. Laisser libre court à l’entêtement des parents et à leur déni n’est donc pas utile et n’impose pas de fournir les moyens de ce déni que serait le contradictoire en terme de procédure.

Et qui juge de facto ?

Quant au juge des enfants, quel rôle lui reste-t-il à travers une telle conception de la justice des enfants, sinon celui du chef de service des travailleurs sociaux, chargé de distribuer la parole et de faire comprendre une dernière fois aux parents leur propre intérêt et celui de l’enfant ?

En poussant un peu la démonstration, oh à peine, on pourrait aller jusqu’à considérer que le dossier est déjà un jugement et que les travailleurs sociaux sont tellement probes que les véritables audiences se tiennent en leurs bureaux derrière deux affiches syndicales.

Justice moyenâgeuse disait Michel Rismann en grossissant ironiquement le trait de ses contradicteurs.

Nous ne reprenons pas une telle accusation un peu facile. Disons que la justice moyenâgeuse peut avoir mauvaise presse mais j’ai la faiblesse de préférer un jugement de Saint Louis sous son chêne que celui rendu par de possibles glands que d’aucuns pourraient considérer comme experts.

LA CEDH A CONDAMNÉ UNE TELLE CONCEPTION

L’originalité de la procédure devant le juge des enfants est tellement originale qu’elle ne s’embarrasse pas de la forme procédurale qui impose à tout  procès la garantie pour celui qui est accusé de savoir de quoi on l’accuse et de pouvoir répondre à ces accusations.

Une forme qui correspond tout simplement à ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qualifie de procès équitable. Peu de temps après la rédaction de l’article du juge Rismann, cette même CEDH va donc condamner la France Bisounours pour refus de communication des dossiers d’assistance éducative aux parents. Un décret du 15 mars 2002 va donc corriger le tir.

L’avancée est de taille car antérieurement à la condamnation de la France, l’accès au dossier d’assistance éducative était limité aux seuls avocats des parents.  Le ministère d’avocat n’étant pas obligatoire devant un juge des enfants, certains parents ne pouvaient donc pas avoir accès au dossier d’assistance éducative. Or une telle inégalité de fait entre parents assistés et parents non assistés est de nature discriminatoire.

Pour autant, le dossier d’assistance éducative n’était et n’est toujours pas communiqué dans son intégralité aux pères et mères. Le terme « communiqué » est même tout à fait impropre car ce dossier peut seulement être consulté selon les disponibilités horaires du greffe et dans un laps de temps limité avant l’audience. Il peut aussi s’enrichir de pièces versées au dernier moment sans que les parents n’en soient informés.

En dépit de la condamnation de la France, des magistrats persistent à rejeter le contradictoire

Eh oui, c’est le cas d’une juge des enfants qui, encore en 2014, ose écrire :

« Concernant la nullité qui résulterait de l’absence de respect du contradictoire,  je vous précise que, de manière un peu différente des audiences civiles de plaidoirie qui ont pour but de trancher définitivement un litige, les audiences d’assistance éducative ont justement pour but de débattre des éléments que les différents professionnels ont fait parvenir au juge des enfants et le cas échéant d’ordonner d’autres investigations. »

Autrement dit, pas la peine de savoir de quoi on est accusé et quels sont les éléments d’accusations, on regardera cela tous ensemble lors de l’audience (et pas avant). Si on fait une erreur par cette conception aberrante du contradictoire, c’est pas bien grave puisqu’on ne tranche pas définitivement : on refera une audience l’année prochaine !

16 réflexions au sujet de « De la Justice des mineurs dans le meilleur des mondes »

  1. J’ai eu visite de se site il y a quelque temps, mais cette lecture ma donné la gerbe et l’impossibilité de m’essuyer sur ses pages, car aucun commentaire possible, on appel ça de la liberté d’expression lol…

  2. Une brillante démonstration juridique, effectivement la procédure devant le JDE n’a rien de gracieuse, bravo pour cette analyse.

  3. une déviation bien courante chez certains juges par faignantise, incompétence ou je m’en-foutisme. Là on touche au sublime dans le ridicule en s’imaginant que des travailleurs sociaux seraient capables de faire le boulot d’un vrai juriste ou enquêteur. La profession des parasites du social ne peut tout simplement pas faire le job par déficience neuronale.

  4. Je sais la source est pas terrible, mais je lisais dans Valeurs Mutualistes de mai/juin 2011 une interview de Robert Badinter, et votre article en parallèle avec ce qu’il dit m’interpelle furieusement. Badinter, fier de son passage en tant que garde des sceaux dit « J’étais convaincu qu’il fallait éradiquer toutes les juridictions et lois d’exception indignes et mettre la France à l’heure des libertés judiciaires en 1981. »
    C’est une plaisanterie ? En 2012 il existe encore une juridiction d’exception qui nie le contradictoire et l’égalité des armes : la justice des mineurs.

  5. Forte implication du juge des enfants ?! quand on sait (dixit Pierre Naves) qu’il est seul, assisté parfois d’une greffière mais qu’il donne la préférence indubitablement à l’ASE et au rapport de celle-ci, que parfois même la décision est déjà prise pour lui avant même d’entendre les parents (à se demander même si elle n’est pas tapée en avance parfois), que les juges des enfants eux-mêmes (art. Ouest France à propos des 2 juges des enfants de l’Orne) se plaignent d’avoir trop de dossiers à traiter et de ne pas pouvoir accorder l’attention requise aux dossiers. En fait, ils ne motivent parfois pas leurs décisions, multiplient les erreurs de procédure et les dénis de justice. Ce n’est pas de la justice c’est un ersatz qui ne respecte même pas les règles habituelles de la justice et pas seulement pour les apparences de contradictoire.

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