Connerie + connerie = faux en écriture


Une affaire à méditer

Le juge Mario-Louis Craighero, 59 ans, vice-président du TGI de Reims, a du répondre de faux en écriture publique au préjudice de Jacques Tillier, président-directeur de la publication l’Union/L’Ardennais.

A priori rien de bien dramatique dans cette affaire, mais ce qui est important c’est la façon dont statuera le Conseil Supérieur de la Magistrature, le tribunal correctionnel de Troyes, l’attitude du futur ex-juge et la réaction des journalistes de l’Union/l’Ardennais, dont l’Est Eclair.

Je vous invite donc à méditer tout cela.

Mince, je m’ai trompé (sic – désolé de cette benoîterie)

Tout commence suite à une plainte en diffamation de la société Vranken-Pomery, bien connue pour ses champagnes, ainsi que de Paul-François Vranken contre l’auteur d’un article du journal l’Union/L’Ardennais et son président, Jacques Tillier. La plainte donnant lieu à une citation directe (assignation sans passer par une plainte au pénal devant le procureur), les plaignants doivent verser une consignation au tribunal (sorte de caution qu’ils perdront en cas de procédure abusive).

Faisons les comptes : il existe deux demandeurs (plaignants) contre deux défendeurs, mais, sans que les avocats des plaignants ne trouvent à y redire, le tribunal va fixer deux consignations alors qu’il en aurait fallu quatre (deux consignations pour le premier plaignants contre les deux défendeurs et deux consignations pour le second plaignant contre les deux défendeurs). Dans de telles conditions la procédure n’est pas régulière et le délai de prescription en matière de presse rendrait impossible de nouvelles poursuites.

J’espère que cela va pas se voir

Les avocats des plaignants, se réveillant le lendemain, réussissent alors à faire modifier le jugement en catimini : ce ne sont plus deux consignations qui apparaissent mais quatre pour un montant total équivalent, le juge fera lui-même la modification et demandera au greffier de revoir les notes d’audience au blanco.

 Un faux en écriture publique

L’avocat de la défense qui comptait sur le vice de procédure se rendra immédiatement compte de la modification du jugement écrit par rapport à celui rendu à l’oral. Pas de ça Lisette aurait-il pu s’écrier en déposant illico plainte pour faux en écritures publiques.

Très ennuyé, et cela tient de l’euphémisme, le juge Craighero aurait entrepris de proposer un arrangement à Jacques Tillier : calmer son avocat contre l’avantage de pouvoir disposer en sa personne d’un « élément modérateur du tribunal. »

Peu sensible à la volonté « d’arranger les choses », le patron de presse dénonce la manoeuvre. Il sera ultérieurement présenté par la défense du juge comme hostile au magistrat et ayant organisé un traquenard !

On peut toujours essayer, mais une telle défense expose le vulgaire justiciable à une expertise relevant une paranoïa.

Le CSM fait le ménage

L’Inspection Générale des Services Judiciaires prendra au sérieux cette accusation de faux en écriture publique. La directrice des services judiciaires, Madame Balbec a vu en de telles pratiques de la « partialité », un « défaut de loyauté et de prudence », un « défaut grave à son devoir de probité ». On pourrait aussi voir dans toute cette affaire un manque de compétence (une connerie) faussement solutionnée par un vilain bidouillage (une autre connerie).

Mais selon le juge Craighero et son avocat il n’y aurait pas « de faux car il n’y a pas d’intention frauduleuse ».

C’est vrai qu’avec cet argument un faux en écriture publique ne serait plus un faux tant que l’intention frauduleuse ne serait pas établie. Or la démonstration de l’intention frauduleuse relèverait de la très subtile et subjective appréciation d’un juge ! Rappelons au passage qu’une fraude est une action faite pour tromper, pour contourner les lois (http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/fraude/), la modification de la note d’audience permet donc des poursuites qui n’auraient pas eu lieu faute de cette modification, y-a-t-il donc là une intention frauduleuse, c’est-à-dire d’infléchir la loi ? Nul besoin d’avoir fait l’école supérieure de la magistrature pour répondre à cela.

Les arguments ne sont guère convaincants et ne convainquent guère : le juge se verra sanctionné par le Conseil Supérieur de la Magistrature d’une interdiction temporaire d’exercer ses fonctions au tribunal le 3 juin 2010, il sera ensuite mis à la retraite d’office, avec pension, le 20 janvier 2011. Il ne pourra donc plus jamais exercer ses fonctions de juge et sera libéré du souci de ses points de retraite.

On ne juge pas un juge !

Au-delà de la sanction disciplinaire, le désormais ex-juge répondra aussi devant le tribunal correctionnel de Troyes de faux en écritures publiques.

Là par contre, comme le titre l’Est Éclair, le tribunal botte en touche, puisque le 30 mars 2011 il se déclare incompétent, comme l’avait demandé Maître Nicolas, avocat de Mario-Louis Craighero. Le journal ajoute que « ne restera de l’audience du 23 février que l’impression d’un simulacre de procès ». Le 18 février 2011, soit avant que l’affaire ne soit jugée, Jacques Tillier déclarait : « on ne juge pas un juge ». Pour lui le verdict n’est donc pas une surprise.

Le journal l’Est Éclair appuie sa déclaration de considérations relatives à l’attitude de l’ex-juge dans un compte-rendu d’audience : « Simulacre d’abord à cause du comportement du prévenu, parti en colère (c’est-à-dire quittant le tribunal), à peine les débats ouverts, maugréant qu’il refusait de s’expliquer sur le fond de l’affaire. De mémoire de chroniqueuse judiciaire, manifester tant d’audace devant ses juges, c’était du jamais vu à Troyes. »

Pour autant je ne vois nulle part mention d’un outrage pour son comportement, la juge Marie-Lisette Sautron ne tirera d’ailleurs pas conséquences de cet incident d’audience.

L’avocat argumentera en faveur de son client un procès inéquitable puisque les anciens collèges de l’ex-juge ne manqueraient pas de l’allumer au cas où il ferait appel du jugement de correctionnelle. En effet la cour d’appel pour des jugements rendus à Troyes se situe à Reims, tribunal dont il est l’ancien vice-président.

Un argument assez particulier puisqu’il suppose la partialité de magistrats, un ancien magistrat pourrait donc invoquer un tel moyen et obtenir satisfaction ? On se demande donc bien pourquoi les avocats de simples justiciables hésitent à aller dans cette voie ?

Et le journal d’ironiser sur le réquisitoire du procureur qui se félicitait d’un exercice de transparence judiciaire :

« « On nous fait actuellement, notamment la presse, grief de corporatisme. Cette audience montre que l’institution judiciaire est capable de faire le ménage, en toute transparence. » En fait, ce sera pour une autre fois… »

Pour ma part je me dispense de tout commentaire, ajoutant cette formule habituelle selon laquelle le lecteur se fera son opinion 😉

Xavier Collet

Pour plus de détails sur l’affaire :

http://www.lunion.presse.fr/article/marne/craighero-a-fui-ses-juges

http://www.lunion.presse.fr/node/791421

6 réflexions au sujet de « Connerie + connerie = faux en écriture »

  1. Merci de cet article très édifiant et raconté sur un ton humoristique, je trouve qu’il dénote bien la mentalité des magistrats, beaucoup ne sont pas très futés mais nul n’y admet ses erreurs.
    L’humilité devrait être une épreuve à part entière enseignée à l’école supérieure de la magistrature de Bordeaux, malheureusement ce n’est pas le cas comme vous vous en doutez.
    Bravo pour le CEDIF, vous faîtes oeuvre utile et je ne doute pas que quelques magistrats qui ont envie de faire bouger la société ne manqueront pas de vous rejoindre si ils en ont le courage.

    1. Merci de vos encouragements, nos colonnes sont tout à fait ouvertes aux magistrats qui entendent nous appuyer, rien ne les empêche non plus de faire le choix du CEDIF en s’y engageant franchement.

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